« Tu trouves pas... », commenças-tu lentement, le bout des phalanges roulant sur le bois devant toi, tes pupilles en détaillant chaque trait, chaque marque, repérant les écarts ici, les espaces là. « … que cette étagère est super sympa ? », terminas-tu doucement, articulant avec lenteur chaque syllabe, la moue songeuse mais aussi rêveuse, les prunelles captant couleur qui explosait devant toi, chaque tâche qui naissait pour disparaître alors que tu décidais volontairement de les laisser partir. Une inspiration, ton bras retombant le long du corps et ce fut comme l'illumination, le but que tu pouvais enfin atteindre. Enfin toucher. Non. Le défi que tu voulais relever. Le bout de ta langue vint titiller le coin de tes lèvres, songeur, alors que tu reculais d'un pas, les calculs virevoltant dans tes pensées. Tu t'avanças à nouveau, le sourire fin présent sur les lèvres, tes pupilles ne se décalant toujours pas des morceaux de bois superposés. « Elle a l'air super sympa à escalader », argumentas-tu, l'esquisse large, rêveuse et insouciante alors que tu mimais l'ascension. Tes doigts pointèrent le bas, la première plante, entourant d'un trait invisible cet espace assez grand pour y glisser ton pied. Et tu continuas, l'index grimpant, désignant, entourant, pointant. Comme si tout avait été fait juste pour toi. Juste pour t'y glisser. Grimper. Monter. Et tu levas le regard, basculant la tête en arrière, désignant le haut d'un geste du menton, ton nez servant à présent de pointeur alors que tu traçais ton chemin, invisible, rêveur, là-haut. « Il y a même l'espace suffisant pour que je me glisse en haut », si c'était pas un signe du destin ça franchement ! « Non ? », tu clignas des paupières, tes prunelles retombant dans celles de ton meilleur ami, ton sourire devenant un peu plus idiot, un peu plus amusé. Tu haussas les épaules, glissant innocemment les mains dans tes poches, le nez un brin retroussé. Tu dévias les prunelles vers l'étagère suivante, la même étincelle dans le regard et le même air stupide sur le visage. C'était pas que tu t'ennuyais mais les livres, c'était pas vraiment ton rayon.. Pourtant tu devais en lire. Trois par mois, très exactement. Mais t'avais un mal fou à tenir ce point-là de la liste. T'avais cru ça simple mais c'était tout le contraire. C'était plus simple pour toi de passer par la fenêtre d'une voiture ou sauter d'immeuble en immeuble. « Tu trouves ton bonheur ? », tu jetas un regard vers Han Sol, le sourcil faiblement levé, curieux. Tu posas ta paume sur l'étagère, les doigts frôlant sa surface avant de poser ton autre main sur ton cœur. « J'ai trouvé le mien », plaisantas-tu, un rire léger dans le fond de la gorge, le nez froncé. « Je rigole », tu haussas les épaules, laissant tes mains repartir vers tes poches. « Peut-être », ajoutas-tu, amusé, avançant dans le rayon. Ca faisait même pas trente minutes que t'étais là et tu voulais déjà grimper sur les étagères – ça allait donner quoi si tu restais trente minutes de plus ? T'allais vraiment le faire ? Ou t'allais tenter de passer entre les étagères pour voir si tu pouvais rester coincé ou non ?

Le bonheur se trouve parfois dans les choses les plus simples ; comme avoir un livre sous les yeux, les mots éveillant l’imagination. L’objet qu’il tenait était si magnifique que Hansol visualisait déjà sa place dans sa bibliothèque. Il visualisait également le nombre important de livres qui attendaient patiemment d’être dévorés... C’était dans ces moments qu’il rêvait de se procurer plus de temps mais, malheureusement, acheter des minutes supplémentaires n’était pas possible…  La vie était une course et chaque moment avait son importance. Tristement, chaque moment semblait lui filer entre les doigts et seule la frustration de manquer de temps restait. « Oh oui, elle est vraiment sympa » Hansol ne se rendit même pas compte que son ami appréciait l’étagère pour une tout autre raison. Dans son cas, il n’admirait pas l’étagère dans l’espoir de l’escalader mais parce que les livres étaient sublimes. Il ne savait plus où donner de la tête, les livres semblaient l’appeler, y compris ceux qu’il possédait déjà. Il se sentit même honteux de vouloir en acheter des nouveaux alors que les livres de sa bibliothèque lui hurlaient dessus pour être lus. Ils attendaient depuis longtemps mais c’était souvent un petit nouveau qui était choisi et ils restaient dans leur coin, attendant leur tour. Au moins, sa bibliothèque était bien remplie et pour un passionné des livres, c’était un bonheur mais, son compte en banque appréciait moins... Malheureusement, face à une telle étagère, il ne savait plus ce que le mot « raisonnable » signifiait. Il n’entendait pas non plus sa carte de crédit qui le suppliait de la laisser tranquille. « Je trouve au- » Hansol s’arrêta dans sa lancée, les mots de Dohyun pénétrant son cerveau. Choqué et inquiet, il se tourna vers son ami avec un regard affolé : « Tu plaisantes ? » Il demanda, peu assuré. « Tu plaisantes, rassure-moi ? » Vu le spécimen qu’il avait en face de lui, il avait toutes les raisons du monde de s’inquiéter…

L’éditeur observa son ami qui analysait l’étagère avec un véritable intérêt, intérêt qui donna des sueurs froides à Hansol. Il savait ce que son ami envisageait … mauvaise idée, très mauvaise idée : « Bien sûr que non ! » Hansol regretta d’avoir parlé aussi fort, voyant une personne se retourner dans sa direction, surprise. Il s’inclina légèrement vers celle-ci pour s’excuser et envoya un regard noir à Dohyun : « Tu n’envisages quand même pas de déranger ces pauvres livres innocents ? Ils n’ont rien demandé les pauvres ! » Entre celui qui voulait faire de l’escalade dans une librairie et celui qui pensait que les livres étaient des êtres vivants… l’équipe était complète. « Je le trouvais avant que tu m’exposes tes plans » Les sourcils froncés, Hansol manqua de faire une syncope en voyant que Dohyun s’amusait clairement de la situation. « Je crois qu’on va devoir partir d’ici, ça va mal finir » Il ne pouvait plus s’émerveiller depuis les bouquins puisqu’il devait les protéger de son ami avant tout. « Je devrais t’acheter un livre qui t’apprendrait comment te comporter dans une librairie » Une main sur le bras de Dohyun, Hansol hésita sur le chemin à prendre. Était-ce une bonne idée de poursuivre leur visite ? « A part les étagères, rien ne t’intéresse ? Tu veux qu’on parte ? » C’était peut-être une bonne idée pour Hansol aussi car il avait déjà deux livres dans les mains… il ne s’était même pas rendu compte qu’il en avait attrapé un second.

C'était pas vraiment ton univers, les livres. Bien sûr tu aimais lire de temps en temps. Comme tout le monde tu supposais. Tu n'étais juste pas totalement captivé par la lecture comme ton ami pouvait l'être. Tu l'accompagnais parce que t'en avais envie, et parce que ça lui plaisait. T'étais pas du genre à râler ou à taper des pieds parce que tu voulais aller ailleurs. S'il prenait du plaisir en traînant parmi les bouquins eh bien, tu le suivais... T'avais juste des idées un peu tordues entre temps. Vous n'étiez pas dans le même délire, dans le même monde. Toi tu voulais grimper. Monter. Voir le monde d'en haut. Comprendre le monde différemment. Observer l'univers comme un personnage neutre. Voir le monde bouger, se faire, se défaire. Comprendre. Savoir. Et questionner le tout. Tu voulais grimper. Plus haut. Toujours plus haut. Tu voulais toujours être en hauteur. Loin du sol – proche de ton frère. Impossible, tu le savais. Surtout qu'il était plus proche de toi. Il battait sous ta peau, il activait ton cœur, ton corps. Il était ton âme. Il était encore là, ton frère. Tu fus satisfait d'entendre Han Sol approuver ta conception de l'étagère. Elle était belle, vraiment sympa. Grande et les planches avaient l'air solides. Elle était large, aussi, te permettant de t'installer sur le haut sans perdre l'équilibre toutes les trente secondes. Tu tournas ton visage vers lui. Tu clignas des paupières, haussant un peu les sourcils. « Non ? », pourquoi plaisanterais-tu là-dessus au juste ? « Les planches sont larges et épaisses, puis elle est plutôt haute », commentas-tu en désignant l'étagère d'un sourire innocent.

Tu l'embêtais simplement, t'allais pas réellement grimper.. ou bien ? L'idée restait tentante, en réalité. Tu arquas un sourcil, observant Han Sol avant d'observer les livres. « T'es au courant qu'ils sont pas vivants... rassure-moi », c'était à son tour de devoir te rassurer alors que tu le regardais, les pupilles brillantes. Tu le taquinais. Tu haussas les épaules dans une petite grimace. « Tout de suite les grands mots », tu ris quelque peu. « Ah bon ? Mal finir comment ? », quelle définition avait-il en tête ? « Tu vas acheter trop de livres si on reste, c'est ça ? », tu t'amusais un peu trop, Dohyun. Tu fis la moue à ses mots. « Je suis pas sûr que je le lirais... mais si tu trouves je suis preneur », tu ris encore une fois, discrètement, mimant un petit air malicieux à ton ami alors que tu t'amusais clairement de la scène. Tu observas Han Sol en silence. « Je suis pas très lecture », commentas-tu simplement en levant les épaules. « Mais si tu veux encore faire un tour, tu peux. Te force pas à sortir juste à cause de moi », le rassuras-tu dans une petite esquisse. « J'essaie juste de m'occuper », vu que les livres, c'était pas ton truc. « Je suis sûr que j'arriverai à grimper sans que personne ne s'en rende compte », articulas-tu. « Je suis hyper silencieux. Si j'avais rien dit, même toi t'aurais pas remarqué », tu lui souris, comme un môme satisfait, avant de rire, agitant la main. « Fais encore le tour. Je vois bien que ça te démange », tu lui désignas le reste des livres. « Mais ne dévalise pas tout », le taquinas-tu doucement dans une esquisse malicieuse. « Je ne promets pas d'être sage cela dit », ajoutas-tu dans un chuchotement, levant le regard vers le haut de l'étagère. Sale gosse.