Ça fait quelques mois que je me suis installé à la capitale avec ma sœur Jisu. Je pensais que j’aurais du mal à changer de vie mais finalement les choses se sont faites naturellement, comme si tout ce qui s’était passé à Mokpo n’était qu’un lointain souvenir. Un simple cauchemar qui me hante encore de temps en temps. D’ailleurs j’en ai encore rêvé la nuit dernière et comme à chaque fois que ça arrive, ma cicatrice à la hanche me lance. C’est purement psychologique. La brulure a cicatrisé depuis bien longtemps mais elle me rappelle pourquoi je suis rentré dans le droit chemin.

D’ailleurs de mon ancienne vie je n’ai gardé que des cicatrices et ma merveilleuse voiture. C’est peut-être cliché mais je kiffe ma caisse. Je la bichonne et je la bricole dès que je peux. Elle est ce que j’ai de plus précieux mais ne me demandez pas si elle passe avant ou après ma sœur. C’est pas le genre de question qu’on pose parce qu’on ne veut jamais en connaitre la réponse. De toute façon Jisu est pas chiante pour ce genre de truc mais peut-être parce que c’est ma sœur et pas ma meuf.

J’suis fatigué aujourd’hui mais au lieu de flemmarder à la maison devant la télé, j’ai préféré sortir faire un peu de sport. Je me connais, c’est toujours dans ce genre de moment que la tentation des vieilles addictions est la plus fort. Alors quand je sens que je faiblis, je sors me vider la tête et j’avoue que transpirer m’a fait du bien. J’en serais presque de bonne humeur si ce connard n’avait pas foncé sur ma caisse.
« Mais putain ! »
Je l’ai vu faire de loin et j’ai cru avoir une attaque quand sa moto est entrée en contact avec ma voiture. Lui, je vais le tuer. C’est un homme mort et c’est pour ça que je me précipite vers lui en hurlant toute sorte d’insulte.

Ça faisait des semaines qu’il cherchait le problème sur sa moto. Il avait tout vérifier, il n’arrivait pas à déterminer s’il s’agissait d’un bris mécanique ou électrique. Un vrai mystère, mais c’était malheureusement souvent le cas avec des engins qui dataient d’une autre époque. Hye Jun avait toujours aimé les motos au style vintage, souvent beaucoup plus vieilles que lui et, pour un mécanicien, elles représentaient des défis intéressants. Après avoir passé la journée à travailler dessus, il espère avoir enfin trouvé le problème. Il n’y a cependant qu’une seule façon de le vérifier; conduire la bête.

Il enfile donc son casque et sa veste, ravi de constater que le soleil n’est pas encore couché et que l’air est assez frais pour se permettre une balade plutôt agréable. Il démarre sa moto qui fait un bruit assourdissant, comme il l’aime, et quitte le garage –fermé depuis plusieurs heures déjà – pour se lancer dans les rues de la ville. Il augmente peu à peu la vitesse, zigzagant parmi les voitures et le trafic de l’heure de pointe. Après une dizaine de minutes, il entend de nouveau l’horrible bruit. Un tac tac dont il est incapable de déterminer l’origine et dont il pensait s’être débarrassé une bonne fois pour toute. Il échappe un juron et dirige sa moto vers un parking pour s’arrêter. Ce n’est pas prudent de la conduire et il devra certainement appeler un pote pour venir le récupérer, lui et sa bécane.

Cependant, alors qu’il tente de ralentir pour se poser dans un espace libre, il perd le contrôle de sa moto qui se dirige tout droit vers une voiture. Hye Jun se met à crier, comme si ça pouvait l’aider à éviter l’inévitable. Il finit par fermer les yeux, impuissant, et sent l’impact de sa moto contre l’autre véhicule. Heureusement, il n’allait pas très vite mais assez pour laisser une trace sur la caisse. Avant même qu’il ne réalise ce qui venait de se passer, une voix se fait entendre derrière lui. Le corps de Hye Jun se tend brusquement parce que les mots sont clairement dirigés vers lui et qu’ils sont beaucoup trop vulgaire pour les répétés. Il retire finalement son casque, énervé qu’on lui hurle dessus alors qu’il s’agissait clairement d’un accident. Il met le frein sur sa moto et la quitte pour se retourner et faire face à l’abruti qui hurle.

On se calme ! C’est un accident et ta bagnole n’a qu’une égratignure…

Bon, une grosse, la peinture est clairement bien endommagée ainsi que le phare arrière, mais pas de quoi péter une crise.

Je suis mécanicien alors pas la peine de me faire un caca nerveux ici je peux réparer les dégâts.

On se calme ? On se calme ? Mais je suis calme ! Et de quel droit ce petit con ose me dire de me calmer ? Je sens tout mon corps se tendre et si je n’étais si furieux, j’aurais pu le trouver mignon mais là tout de suite la seule chose que j’ai envie de faire, c’est de lui en coller une. Oui, ça me fera du bien parce que clairement cette caisse, c’est toute ma vie, c’est tout ce que je possède et j’y tiens.
« Une égratignure, vraiment ? »
Ma voix est pleine d’ironie alors que je n’ai même pas encore osé poser les yeux sur mon bébé d’amour. Oui bon, j’en fais peut-être trop pour une voiture mais vous comprenez, c’est ma voiture ! Si on me l’enlève, que me reste-t-il ? Pas grand-chose alors y’a intérêt pour lui que ça ne soit qu’une égratignure. Et quand bien même, il l’a quand même abimé avec sa grosse moto ! Quand on ne sait pas conduire, on s’abstient de le faire, ok ?

Me faisant violence pour ne pas lui en coller une tout de suite, je me tourne vers mon Impala noire pour constater les dégâts et c’est clairement plus qu’une égratignure. Ce mec, je vais lui faire la peau. Me retournant vivement vers lui, m’apprêtant à lui en coller une, je m’arrête dans mon geste lorsqu’il me dit qu’il est mécano. Je plisse les yeux de méfiance et me rapproche de lui, gardant le poing serré. M’arrêtant à quelques centimètres de lui, au point qu’il puisse sentir mon souffle contre son visage que je dévisage longuement avant de lui grogner :
« Vaut mieux pour toi qu’elle soit comme neuve et vite, sinon je te jure que t’es un homme mort. En plus je fais un caca nerveux si je veux ok ? »
Mais qu’il ne croit surtout pas qu’il va malgré tout s’en tirer comme une fleur. J’exige réparation et tout de suite :
« Il est où ton garage, hein ? On va y aller maintenant, comme ça je suis sûr que tu ne me baratines pas. »

Hye Jun détourne brièvement son regard du jeune homme pour observer sa voiture. Il en avait rarement vu des comme ça. Il s'y connaissait bien en moto vintage mais pour les voitures, la mécanique était bien différente de ce qu'on retrouve aujourd'hui et ça n'avait rien à voir avec sa bécane. Il essaie simplement de calmer l'inconnu parce qu'il a l'impression que ce dernier serait prêt à lui arracher la tête. Il dépose son casque sur le siège de sa moto et se retourne enfin vers l'autre, penchant légèrement la tête avec un sourire en coin.

Oui, une égratignure. T'as des problèmes de visions?

Alors qu'il termine sa question, l'homme prend le temps de bien examiner sa voiture et visiblement, il n'est pas d'accord avec le diagnostique de Hye Jun. D'ailleurs, il se retourne et le mécanicien ferme instinctivement les yeux, imaginant déjà le poing s'abattre sur sa gueule. Rien ne vient. Lorsqu'il ouvre finalement les yeux, le visage de l'inconnu se trouve tout près du sien. Il se mord la lèvre inférieure et recule d'un pas, prenant un air faussement embarrassé.

En fait... J'ai des problèmes avec ma moto, comme t'as pu le voir. Je peux rien faire pour ta bagn.... Ta voiture maintenant. Je dois trouver le moyen de la ramener mais je peux te laisser l'adresse et mes disponibilités. De toute façon, c'est pas comme si tu pouvais pas la conduire entre temps...

Remarquant que ses paroles ne semblaient pas du tout convenir au jeune homme, Hye Jun s'empresse d'ajouter à la blague, en posant une main qui se voulait amicale sur son épaule:

Fais pas cette gueule. C'est une voiture, pas ta copine. À c'qui paraît, je peux faire des miracles avec mes mains alors détends toi et va tirer un bon coup.

« Des problèmes avec ta moto ? Comme c’est pratique. »
Je laisse échapper un rire nerveux alors que je suis à deux doigts de péter un câble mais je crois qu’il peut facilement le voir et le comprendre à l’expression de mon visage mais également au ton ironique que je prends en prononçant ces quelques mots.
« Qui me dit que t’es pas juste en train de me baratiner pour essayer de te défiler, hein ? »
Malgré mon énervement, ce n’est pas le moment de déclencher une bagarre. En venant vivre à Séoul, je me suis promis de rentrer dans le droit chemin et ça inclus le fait de se comporter comme un citoyen civilisé même si je suis persuadé que lui en mettre une me fera le plus grand bien. Il a une jolie petite gueule d’ange mais même si je l’amoche un peu, je suis certain qu’il pourra continuer à pécho. Ça pourrait même plaire aux filles en rajoutant une couche de bad boy à son charme. L’idée me fait sourire alors que je finis par passer un bras autour de ses épaules, le rapprochant ainsi de moi et le maintenant suffisamment fort pour qu’il ne puisse pas se défaire facilement de mon étreinte. D’ailleurs, je ne tarde pas à lui dire :
« Tu vois mec, cette bagnole est plus importante que n’importe quelle gonzesse que j’ai pu me taper. Alors non j’irais pas tirer mon coup et je compte pas te lâcher tant que j’aurais pas la certitude que tu te défileras pas. Allé file-moi ton téléphone. »
Je lui tends la main pour le récupérer. Pour que je puisse ensuite appeler le mien avec et m’assurer d’avoir son vrai numéro. D’ailleurs je ne relâcherais pas son étreinte tant qu’il ne m’aura pas donné ce que je réclame. Ensuite ? On verra.

Bon, visiblement, il ne semblait pas le croire même si, pour une fois, Hye Jun disait la vérité. Il s'attend d'ailleurs à ce que l'inconnu le frappe à n'importe quel moment parce que, à voir l'expression sur son visage, il se doute qu'il est à deux doigts de péter un plomb. Encore une fois, le mécanicien lève les mains devant lui pour lui signifier son innocence.

J'te baratine pas mec, faut pas être parano non plus.

Il sursaute en sentant le bras de l'autre jeune homme se glisser autour de ses épaules alors qu'un sourire remplace son expression de colère. Aurait-il à faire à un débile mentale instable émotionnellement? Hye Jun ne connait rien à ce genre de maladies mais il doute que cet inconnu soit complètement sain d'esprit pour réagir de la sorte. Il essaie d'ailleurs de se défaire de son étreinte mais en vain, il le maintient fermement. Il ne veut pas risquer de le provoquer davantage alors il décide de ne plus résister pour l'instant. En tant que mécanicien, il pouvait comprendre l'attachement qu'entretenait certains hommes avec leur voiture et devait donc admettre que, même s'il ne s'agissait que d'une simple égratignure - bon un peu plus mais qui regarde vraiment - il s'agisse d'un carnage pour cet inconnu.

Hey tu me connais mal, je ne me défile jamais.

Sur ce, Hye Jun n'hésite pas à sortir son téléphone de la poche de son pantalon qu'il enfonce brusquement dans la main que lui tend l'autre jeune homme.

Vas y, enregistre mon numéro. Pas besoin de te glisser dans mon pantalon pour l'obtenir tu sais.

Un léger rire m’échappe alors que je lui réponds :
« Justement mec, j’te connais pas mais je demande que ça. Te connaitre et te faire confiance pour réparer les dégâts que t’as fait. »
J’essaie de mettre de l’eau dans mon vin comme on dit et de ne pas reprendre mes bonnes vieilles habitudes qui consistent à frapper avant de parlementer. J’ai jamais été très doué pour ça, je veux dire négocier avec diplomatie. Les mots en générales, je les garde pour la drague surtout quand il s’agit de jolie demoiselle. Les mecs en général n’ont pas besoin d’autant de baratin.

Il semble de bonne foi puisqu’il ne fait pas d’histoire pour me donner son téléphone portable, me le mettant un peu brusquement dans la main mais ce n’est pas ce détail qui attire mon attention mais plutôt ce qu’il me dit et malgré moi un sourire amusé se dessine sur mes lèvres sans que je ne m’écarte de lui. L’envie de l’embêter un peu pour me venger de ce qu’il a fait à ma voiture, traverse mon esprit.
« T’aimerais bien, hein ? Mais tu sais, je suis pas un garçon facile. »
Je laisse échapper un nouveau rire alors que je compose mon numéro sur son téléphone, faisant sonner le mien pour avoir le sien.
« Parfait ! Je veux bien te lâcher la grappe si tu me dis quand et où on fait ça. »
Je lui rends son bien, gardant toujours ma prise autour de ses épaules. Ce n’est pas tant que notre proximité me plait mais je veux être certain qu’il ne se défilera pas avant qu’on ait fini de régler notre petite affaire.
« Et je ne parle pas d’un rencard mais de ma caisse. On fait comment maintenant ? Pour le reste, on verra après que t’ai tenu ta promesse. »

Hye Jun ne peut que douter lorsque le jeune homme mentionne vouloir le connaître et lui faire confiance. Non il veut simplement qu'il répare la merde qu'il a causé et après il disparaîtra sans un seul remerciement. C'est sans doute ce qui l'empêche de lui détruire la gueule immédiatement.

T'as mon numéro. Tu veux aussi mon adresse? Mon groupe sanguin? Mes mensurations?

Bon il le provoque un peu mais il n'apprécie qu'on doute de lui. Un rire amer s'échappe de ses lèvres lorsqu'il mentionne ne pas être un garçon facile. Non ça il l'a bien vu, il a même un caractère particulièrment difficile. Hye Jun croise les bras sur sa poitrine en l'observant composer son propre numéro sur son téléphone avant de finalement le récupérer et le remettre dans ses poches.

Demain. Je suis au garage toute la journée. Je te texterais l'adresse.

Il le toise du regard alors que l'inconnu ne le lâche toujours pas, à croire qu'il doutait encore de ses bonnes intentions. Il hausse les sourcils à sa question, se demandant ce qu'il attendait de plus de sa part.

Tu peux la conduire non? C'est qu'un égratignure. Contrairement à ma moto, elle est pas foutu alors arrête de chialer.

Hye Jun devait déjà trouver comment rentrer chez lui alors il n'avait certainement pas le temps de se préoccuper des problèmes de l'autre. Il se défaut finalement de son emprise en secouant les épaules et fait un grand pas vers l'arrière.

Maintenant, à moins que tu ne veuilles te montrer généreux et me conduire chez moi, on s'revoit demain. J'ai autre chose à faire.

Il ne manque pas de réparti et s’il n’avait pas abimé ma voiture, j’aurais presque pu aimer ce trait de personnalité. J’aurais même ris si je ne luttais pas contre l’envie de lui casser la figure parce que clairement il se fout de ma gueule alors qu’il est en tort. Il a osé toucher à mon bien le plus précieux mais il a du bol. En quittant Mokpo pour venir vivre ici, j’ai décidé de rentrer dans le droit chemin, alors je vais lui laisser une chance de réparer sa merde.
« Demain ? C’est parfait. Je bosse de nuit alors ça devrait le faire. Fais juste gaffe à pas m’envoyer un texto trop tôt chéri. »
Je laisse échapper un rire moqueur pour m’empêcher de lui en coller une parce que sa dernière remarque sur le fait que je chiale, ça commence clairement à me gonfler. Il ne se rend pas compte à quel point je lutte contre ma vraie nature ? Il pourrait s’estimer heureux car je fais de gros effort. Et puis il parle brusquement de le ramener, ce qui me fait largement sourire. Pourquoi passer à côté de la perche qu’il me tend ? C’est presqu’une invitation à lui répondre :
« Ben voilà. On va faire ça. »
Je le lâche enfin et lui fais signe de monter dans ma voiture.
« Je vais te ramener chez toi. »
Comme ça je saurais où le trouver sans avoir à me fatiguer, si jamais il essaie de m’entourlouper.
« Faut que t’attende qu’on vienne chercher ta moto ou tu peux la laisser ici ? »
Parce que j’ai tout mon temps. Il m’a fait chier, je ne vois pas pourquoi je ne pourrais pas non plus lui pourrir sa journée. Enfin plus qu’elle ne l’est déjà.